Yoga : yeux ouverts, yeux fermés, quand et pourquoi ?

Vous débutez le yoga, et vous ne savez pas si, ni quand, les yeux sont ouverts ou fermés dans la pratique des postures… 

Vous pratiquez le yoga depuis longtemps et le choix entre les deux options est devenu un automatisme pour vous, mais vous n’en savez pas plus…

À quoi sert d’ouvrir ou de fermer les yeux pendant les postures ? Qu’est-ce que dit notre enseignement ? Cet article tente de vous présenter quelques principes simples, liés à l’expérience et sans dogmatisme.

Une remarque préalable : dans cet article, j’aborde la question des yeux fermés ou ouverts dans la pratique des postures. Il en irait un peu différemment dans les pratiques respiratoire et méditative, en position assise ou allongée.

Les yeux sont ouverts en yoga…

Les yeux sont ouverts dans les postures debout

Il s’agit de se repérer dans l’espace, d’avoir une conscience du corps apportée par les cinq sens, dont la vue, qui est essentielle. Avoir les yeux ouverts permet d’assurer sa stabilité dans certaines postures d’équilibre, comme tādāsana (le palmier), ou toutes les variantes de utthita parśva pādāṅguṣṭhāsana ou utthita eka pādāṅguṣṭhāsana (les postures du gros orteil).

Tādāsana
Utthita pādāṅguṣṭhāsana 

Au-delà de la stabilité physique, avoir les yeux ouverts permet de bien s’ancrer dans la posture et de s’y établir fermement, cette attitude ayant un lien avec son propre « ancrage » dans la vie et dans le monde, tandis que les yeux fermés signalent un retrait. 

Les yeux ouverts conviennent particulièrement aux jeunes, même dans les concentrations, car ils favorisent la fermeté extérieure et intérieure. Associés à une posture dynamisante, comme vīrabhadrāsana 3 (le héros n°3), ils développent, en lien avec la posture, concentration, confiance en soi, maîtrise de l’équilibre, physique et mental.

Vīrabhadrāsana n°3

Les yeux sont ouverts, certes… mais qu’en est-il du regard ? Le laisse-t-on errer dans l’environnement visuel ?

Que se passe-t-il quand nous laissons errer notre regard ? Nos yeux sont attirés par un ou des éléments qui sont saillants et qui agissent sur notre mental, c’est-à-dire qui s’imposent dans notre champ de vision, accrochent notre regard et déclenchent une première pensée : « Tiens, il y a une toile d’araignée dans le coin ». La pensée peut s’arrêter là, mais elle peut aussi enclencher une deuxième pensée : « J’ai peur des araignées », ou « Le ménage n’a pas été bien fait », puis une troisième : « Décidément, le ménage n’est jamais fait dans cette salle », puis « C’est vraiment une pitié que le ménage ne soit pas fait », « C’est toujours pareil… », etc.

Vous m’avez compris, n’est-ce pas ? Et dans cet engrenage de pensées, où sommes-nous ? Dans notre posture ? Dans notre souffle ? Et que dire de notre attitude mentale, qui glisse dans la rumination, la pensée automatique dominatrice ? Pour éviter cela, même quand nous avons les yeux ouverts, nous sommes invités à garder notre regard fermement établi : soit à l’horizon, sans attrait pour l’extérieur, soit sur un point de concentration qui va aider à fixer notre attention pour ne pas qu’elle se disperse (et s’agite).

Choisir un dṛśti peut aider à maintenir la posture !

C’est là que nous arrivons à la notion de dṛśti (prononcez « drishti »), ce sera le sujet d’un autre article. Dṛśti vient d’une racine DṚŚ qui signifie « voir », et désigne en yoga l’orientation du regard sur un point.

Enfin, les yeux ouverts ont parfois envie de se fermer dans une posture debout. Même si le professeur vous rappelle que les yeux sont ouverts, pourquoi vous censurer ? Par exemple, vous pouvez avoir envie en début de séance de fermer les yeux dans la posture debout samasthiti (posture de l’égalité, pieds parallèles, dans le redressement naturel des courbures vertébrales, bras le long du corps et paumes ouvertes), quand il s’agit de revenir à soi, de prendre conscience de son corps, de son souffle, de s’abstraire des activités que vous avez quittées pour la pratique, de « souffler » avant de commencer les postures.

Vous pouvez aussi en avoir envie dans certaines postures dites de fermeture, comme la pince debout uttānāsana, qui développe l’intériorisation et la déconnexion mentale, et favorise l’observation.

Je vous invite lors de la prochaine séance à observer si vous avez tendance à fermer les yeux dans les postures debout, et si oui, à quel moment, dans quelle posture, pour quelle raison (fatigue ? Envie de s’abstraire du monde ? des autres ? de ne pas voir ? de ne pas être vu ? etc.). Plus important que de respecter une directive, observez… Parmi les citations de Desikachar, nous lisons : « Lorsqu’il n’y a pas d’observation de soi, on peut difficilement appeler cela yoga ».

Les yeux sont fermés en yoga…

Les yeux sont fermés dans les autres postures, couchées, inversées, en extension et assises. Ils permettent de mieux s’intérioriser. Il y a une autre situation : lorsque vous terminez un exercice, très souvent, je vous invite à fermer les yeux et à « observer vos sensations ». 

L’attitude des yeux fermés convient aux adultes, elle permet de prendre du recul vis-à-vis du monde extérieur, elle développe le « regard intérieur » et l’observation attentive, neutre, de ce qui se passe à l’intérieur.

Le Dr Luc Audouin, sophrologue dont je vous ai déjà parlé dans un précédent article, rappelle que nous avons trois types de sensations : « les extéroceptives (apportées par nos cinq sens), les proprioceptives (musculaires) et les intéroceptives (venant de l’intérieur du corps) ». Nous avons la capacité, grâce à la substance réticulaire, située dans le tronc cérébral et qui remonte au cerveau, de filtrer les sensations (en inhibant les inutiles), et à l’inverse de « favoriser, sélectionner, se focaliser sur une sensation (ainsi lorsque je veux entendre un bruit particulier ou sentir une fleur) ».

Pendant la pratique de yoga, vous êtes plus détendus et surtout plus attentifs à ce qui se passe dans votre corps et aux sensations intéroceptives, qui sont arrêtées en temps normal. « Dans un corps calme et détendu, un mouvement va “s’entendre”, se ressentir de façon plus riche, permettant une meilleure intégration dans la conscience de ce territoire ». Qu’apporte alors d’avoir les yeux fermés ? Quand les yeux sont fermés, s’affine la capacité à percevoir les choses de l’intérieur et à se focaliser sur les sensations. Les yeux fermés, la vue au repos, provoquent « l’apparition d’ondes alpha, source et signe de repos cérébral » (La Sophrologie. Une invitation au mieux-être, p. 41).

L’onde cérébrale alpha est prédominante dans la phase entre l’éveil et le sommeil, stade proche de la relaxation ou encore moment de détente chez les adultes. Elle peut aussi être présente lorsque la personne est assoupie, mais reste sensible aux stimuli extérieurs. Les ondes alpha disparaissent quand les yeux sont ouverts.

Parfois, vous avez du mal à fermer les yeux dans les postures au sol : là encore, observez. Est-ce par manque d’habitude tout simplement ? Parce que vous êtes en train de vous caler sur une autre personne (vous avez oublié les indications) ? Parce que vous craignez de toucher ou d’effleurer votre voisin ou voisine ? Êtes-vous en train de penser à autre chose ? Ou gardez-vous les yeux ouverts pour vous assurer que vous « faites bien la posture » ? Plus vous développez la conscience de votre schéma corporel, moins vous aurez besoin de vérifier la position de votre corps, de la justesse de votre geste, etc.

Là aussi Desikachar nous éclaire : « Même les yeux fermés, on doit reconnaître āsana, la posture » et « la forme extérieure ne compte pas. Ce qui compte, lorsqu’on fait un āsana, c’est l’expérience que l’on vit dans l’instant présent ». J’ai observé pour ma part que les yeux fermés aident paradoxalement (ou contre l’idée préconçue qu’on peut avoir) à être pleinement dans l’instant présent : aucun signe extérieur ne vient vous signaler l’heure qu’il est (sauf évidemment si la cloche sonne à ce moment-là), et cette perte de repère permet de trouver son propre repère intérieur, de ne pas se soucier du temps dit « objectif » et de dilater le présent de la posture.

En conclusion

Vous est-il facile de fermer les yeux ou au contraire, difficile ? Avez-vous plutôt tendance à ouvrir les yeux, quelle que soit la posture, ou au contraire à fermer les yeux en toute situation ? Avez-vous une préférence entre les deux ? Vous est-il arrivé de penser que cela dit quelque chose de votre état du moment ?

Surprenez-vous la prochaine fois en vous observant. Fermés ou ouverts, les yeux nous disent beaucoup… de nous !