Le mot sanskrit : उज्जयी ujjayī

Si le mot ujjayī « la victorieuse » évoque le succès et la réussite dans un contexte guerrier ou sportif… il désigne cependant en yoga une respiration ! Tentons d’y voir clair.

L’origine du mot

Ce mot vient de la racine JI- qui signifie à la fois « vaincre, conquérir » et « gagner au jeu, battre »​. Avec le préfixe ut qui signifie « vers le haut », le verbe ujji उज्जि signifie « vaincre, conquérir » avec un sens intensif et l’idée d’un mouvement vers le haut. 

L’adjectif ujjayin signifie « victorieux ». Ujjayī signifie « celle qui rend victorieux ».

Que désigne ujjayī ?

Ujjayī désigne une respiration particulière, ce que l’on appelle un prāāyāma. C’est la respiration avec laquelle vous pratiquez les postures.

Elle se produit spontanément lorsque vous approfondissez la respiration et votre concentration. Pratiquée par les deux narines, elle crée un son au fond de la gorge aussi bien à l’inspiration qu’à l’expiration. C’est le resserrement de la glotte qui produit ce son, de sorte qu’en rééducation respiratoire elle est connue sous le nom de respiration glottique.

Description physique d’ujjayī

Dans le traité Hatha Yoga Pradipika (traité médiéval sur le yoga), II 51-53, il est dit d’ujjayī :

« La bouche fermée, on doit inspirer l’air lentement par les deux narines, de manière qu’il frotte depuis la gorge jusqu’à la poitrine en produisant un son », plus loin, « le nom ujjayī peut signifier la production d’un bruit sourd en rapport avec la fermeture partielle de la glotte ». Les cordes vocales ne sont pas impliquées : le son produit est dû au rétrécissement du passage de l’air à son entrée et à sa sortie, et résulte de la position de la glotte, qui ferme partiellement ce passage. La glotte resserrée entraîne un bruit doux et continu, sans friction au niveau des fosses nasales (on peut d’ailleurs avoir l’impression que l’air ne passe pas vraiment).

Effets physiologiques d’ujjayī

Avec cette respiration, la résistance au niveau de la glotte augmente les changements de pression intra pulmonaires. Le diaphragme développe alors une amplitude plus prononcée, ce qui favorise une bonne respiration (avec massage des viscères et du muscle cardiaque). La résistance opposée à l’expiration par cette manière de respirer est bénéfique pour les poumons, et l’alternance de pressions positives et négatives s’harmonisent avec l’action de la pression atmosphérique sur la respiration. 

Ces différences de pression agissent sur les échanges et ont des conséquences sur le pH, qui a tendance à augmenter. Autrement dit, on s’« alcalinise » (ou on se « désacidifie »). Comme l’acidification est le terrain propice aux inflammations, pratiquer ujjayī a un vrai intérêt. Par ailleurs, le mouvement amplifié du diaphragme agit sur le cœur (comme un piston) et allège son travail, tandis que « la différence de pression intra thoracique, à l’inspiration comme à l’expiration, produit un phénomène de pompage favorable aux échanges sanguins » (Jean-Pierre Laffez, Les Carnets du yoga, septembre 2022, p. 33). Retenez que ujjayī favorise une bonne oxygénation, une bonne circulation et produit de la chaleur interne.

Comment pratiquer ujjayī ?

Allongé, assis, debout… peu importe. La respiration se fait par le nez, elle est lente, « contrôlée », modérément bruyante. Au début, on a tendance à forcer un peu, cela passera avec la pratique. Il est dit que cette respiration ne devrait pas s’entendre à plus d’un mètre autour de nous et même que seul le pratiquant devrait l’entendre. Mais elle a tendance à devenir plus bruyante dans les postures intenses, c’est tout à fait normal.

Il s’agit simplement de resserrer légèrement la glotte dans la gorge tout en respirant par le nez. Le son se produit aussi bien à l’inspiration qu’à l’expiration. Vous associez un mouvement dans l’abdomen : vous resserrez autour du nombril à l’expir comme si vous vouliez l’amener vers le bas et le remonter, vous relâchez à l’inspir.

Elle est déconseillée si vous avez mal à la gorge (car celle-ci est sensible et le frottement risque de vous faire tousser).

La respiration ujjayī dans les postures

Cette respiration est utilisée pour se concentrer : comme on entend le son à l’intérieur, on peut focaliser son esprit sur cette écoute, homogénéiser le souffle, le régulariser. Elle permet d’entrer plus profondément dans les postures.

Pourquoi la respiration ujjayī détend-elle ?

La respiration peut s’amplifier, le diaphragme est très mobile et les poumons se reposent car il y a un ralentissement des temps respiratoires. On peut aussi imaginer que, comme elle améliore globalement la circulation sanguine et l’irrigation cérébrale, un effet de détente se produit globalement. Mais c’est sans doute par l’effet de recentrage sur soi et sur l’écoute du son intérieur que ujjayī produit cette détente.

Pourquoi une respiration « victorieuse » ?

Parfois, elle est nommée métaphoriquement respiration océanique parce le doux bruit qu’émet la gorge ressemble au bruit des vagues… mais le sens littéral de ujjayī est « victorieuse ». Quelle victoire ? Une victoire sur quoi ?

Lorsque vous êtes habitués à pratiquer ujjayī, après une phase de découverte et de pratique régulière, vous observez que vous pouvez allonger votre souffle. Vous apprenez à « maîtriser » votre souffle, à « jouer » avec votre respiration : vous l’allongez, vous égalisez les temps d’inspir et d’expir, vous doublez le temps d’expir (il est déconseillé d’allonger l’inspir par rapport à l’expir), etc. En fait, il s’agit d’une « victoire » sur le souffle, une victoire sans combat : le pratiquant « maîtrise » prāṇā, le souffle vital, celui qui est en nous autant que celui qui est tout autour de nous (ce qui anime le vivant). T.K.V. Desikachar dit que « Le yogin est celui dont le prāṇā se trouve à l’intérieur du corps », lui assurant ainsi une bonne énergie vitale.

En conclusion

Ujjayī est une respiration par les narines avec freinage dans la gorge, accompagné d’un léger bruissement à l’IN et à l’EX.

Dans le Yoga sūtra II-50, Patañjali dit que le souffle devient long (dīrgha) et subtil (sūkṣma)Ujjayī permet de découvrir ces deux qualités du souffle : respiration équilibrante, apaisante, elle peut être pratiquée par toutes et tous. 

Elle accompagne la pratique des postures, mais peut se pratiquer pour elle-même, dans toutes les situations de vie quotidienne. Elle est liée aussi à un certain état de stabilité, de paix, d’unité. Je cite encore T.K.V. Desikachar : « La respiration est une préparation essentielle pour la méditation. C’est de la méditation en soi ».

Bonne pratique !