Souvent, au cours de la séance de yoga, entre chaque exercice, nous sommes invités à faire une pause pour « observer nos sensations ». Cette phrase, parfois mécaniquement prononcée, peut même être proférée sur un ton franchement martial, intimant un ordre plus qu’une invitation… Que nous invite-t-on à faire réellement ?
D’abord, qu’est-ce que « les SENSATIONS » ?
Dans ce cas, on pourrait utiliser aussi le terme « ressentis » : quels sont vos ressentis intérieurs, après l’exercice que vous venez de faire, c’est-à-dire les stimulations sensorielles que l’exercice a provoquées dans le corps, dans les parties du corps impliquées (échauffement, picotement, relâchement, etc.) ou dans celles qui ne l’ont pas été (des tensions sont-elles apparues ?) ? Il s’agit d’être en prise avec « ce qui se passe à l’intérieur » non seulement lorsque vous bougez, mais aussi lorsque vous êtes immobile, après la posture proprement dite. Ce faisant, vous développez ou affinez un sens interne, la proprioception, celui qui perçoit de l’intérieur la manière dont le corps se place, les ajustements, le sens qui permet de vous équilibrer. Vous êtes invité à prendre conscience de la belle mécanique du vivant en vous, grâce aux perceptions sensorielles, à cette connaissance immédiate par les sens.
Ensuite, qu’est-ce qu’« OBSERVER » ?
Quand on observe, on est très attentif. On parle d’ailleurs de « don d’observation » pour désigner cette faculté d’attention fine chez certaines personnes. Dans l’observation en yoga, il s’agit de considérer avec attention les perceptions sensorielles qui s’expriment, sans regard narcissique, ni à l’inverse dépréciatif, de porter un regard intérieur dénué de jugement, de développer une posture de témoin intérieur. Ce faisant, on arrête précisément de se couper de ses sensations, on prend conscience du corps et de la manière dont « ça » travaille en nous, dont ça respire en nous, dont finalement ça fonctionne indépendamment de nos projections. C’est cette qualité d’attention qui s’exerce dans l’observation, elle nous permet de bien négocier le geste dans le vif de la séance ou plus tard, de faire confiance à « ce que peut le corps » (Spinoza), non au sens où on augmenterait ainsi ses performances, mais au sens où l’on prend « la mesure de notre capacité à sentir et donc aussi à penser avec le corps » (Hélène L’Heuillet, Éloge du retard, Albin Michel, 2020). En prenant le corps comme l’objet de son observation, de concentration, on chemine vers une conscience accrue et, peut-être, vers un état d’unité.
Enfin, QUAND observe-t-on les sensations ?
Vous l’avez compris, l’observation, même si elle est « requise » par le professeur après les postures, est invitée au cœur même des mouvements : il s’agit d’observer comment on ajuste sa posture, quelles régions du corps sont impliquées par le positionnement du corps, quelles sont celles qui ne le sont pas (et qui peuvent être dé-tendues), comment le corps se place presque de lui-même avec son intelligence propre, comment je peux l’aider à se placer. C’est la dynamique au cœur du vivant en nous, jusqu’à l’intérieur même des articulations, que nous pouvons observer tranquillement, dans une perception sensorielle pure, dans un état de conscience plus sensitif qu’intellectuel. Ce faisant, on développe la capacité d’une perception immédiate, c’est-à-dire sans la médiation du mental. La démarche du yoga nous invite ainsi à affiner nos sens, non à nous en défier (même si, nous le savons d’expérience, les sens nous trompent…), à tourner nos sens vers ce qu’il y a de plus subtil en nous, le processus même de la vie.
En yoga, nous cheminons vers nous-même, vers une meilleure connaissance et compréhension de soi, avec le corps : c’est notre véhicule, disent certains textes. Ce véhicule qui nous fait traverser la vie, autant y mettre un brin de conscience quand on le meut !
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