Cette question, qui peut paraître anodine, vous vous l’êtes sans doute déjà posée !
En tout cas, moi, lors de ma formation, je n’ai pas manqué de la poser à notre formatrice IFY. Au-delà de la convention que représente le fait de commencer toujours du même côté – au moins, on ne se pose pas la question, et on est sûr quand on termine à droite d’avoir pratiqué le même nombre de mouvements d’un côté que de l’autre -, il y a d’autres réponses possibles, que je suis allée puiser à différentes sources.
Ce qu’en disent les maîtres indiens
Comme nous l’a d’abord dit notre formatrice IFY avec un sourire malicieux, la première réponse est «à l’indienne» : on ne pose pas de question, on exécute ce qu’enseigne le maître ! Évidemment, c’est un peut court et n’a pas arrêté mon questionnement…
La première raison serait anatomique et physiologique
Notre intestin dessine une anse avec un sens (ascendant à droite, transverse puis descendant à gauche) et contient des coudes qui facilitent le transit et préviennent les encombrements. Il est donc judicieux, selon Anne-Béatrice Leygues, ostéopathe et professeure de yoga, de commencer par l’inclinaison latérale et la rotation à gauche. Elles permettent d’étirer et de brasser l’angle colique gauche et le sigmoïde (voir sur le schéma) qui représentent à la fois le « dernier virage » du côlon et son abouchement au rectum. « Ces deux structures brassées permettront une meilleure progression du bol alimentaire depuis le côté droit étiré et brassé à son tour » (Le Journal du Yoga, n° 241, septembre 2022).
La deuxième raison est symbolique
Plus subtilement, le côté droit est souvent prédominant par rapport au côté gauche. Dans nos représentations, il est plus valorisé d’être « droit » (bon, juste, honnête) que d’être « gauche » (maladroit, emprunté, empoté). Par ailleurs, du point de vue interne, le côté droit serait plus proche du centre que le côté gauche (Éric Baret, Le Journal du yoga, n°227, mars 2021).
Ces deux raisons expliqueraient que le début des āsana s’effectue à gauche pour finir par la droite. Dans la tradition du Yoga, le côté droit est plus noble que le côté gauche, le côté droit affirmatif et le côté gauche défensif – mais ces valeurs s’inversent dans la méditation où le côté droit actif doit « abdiquer dans la non-activité, gauche » (Id.). Ainsi dans dhyāna mūdra, où l’on est assis, les mains reposent sur les genoux et forment un cercle en forme de bol. La main droite se positionne sur le dessus de la main gauche tandis que les pouces se rencontrent, comme vous pouvez le voir sur la statue ci-dessus.
Encore une raison : la moitié gauche est dite «lunaire», plus relaxante, c’est la partie tournée vers l’intériorité, tandis que la partie droite rayonne, c’est la partie active, solaire. Commencer à gauche permet d’avoir une pratique d’emblée plus intériorisée, douce, apaisée, dans la détente, dans une atmosphère pacifique. Si on commence par la droite, on sollicite d’abord le côté d’emblée actif.
La dernière est énergétique et spirituelle
Selon T.K.V. Desikachar, cité par Bernard Bouanchaud (Fondation Viniyoga), « effectuer le premier geste à gauche dans une posture est un rituel religieux, pradakṣiṇā [prononcez « pradakshina »]. C’est développer la conscience de son corps pour l’optimiser par un rituel religieux afin que le corps soit le chemin vers la pacification du souffle et des énergies et vers l’élévation spirituelle, vers la lumière ». Ce rituel religieux, qu’on observe en Inde dans les temples, consiste à effectuer toujours le premier geste à gauche et à tourner vers la droite, dans le sens des aiguilles d’une montre (en signe de respect, autour d’un sanctuaire ou d’une personne). Le terme pradakṣiṇā signifie littéralement en sanskrit « aller vers la droite ».
Conclusion
Pour les droitiers, qui sont majoritaires, la partie gauche est souvent la moins active, on la sollicite moins et moins souvent. Commencer par la gauche fait sortir d’un conditionnement, celui de solliciter systématiquement la partie droite, et peut devenir un outil de concentration. Même pour les gauchers, comme nous sommes dans une organisation faite plutôt pour les droitiers, la partie gauche peut être dans l’ombre de la partie droite.
Comme on le voit, toutes ces raisons qui expliquent qu’on commence par la gauche n’épuisent pas le fait que cela reste une convention, et comme le yoga n’est pas dogmatique (paraît-il), qu’il est bon parfois de ne pas se sécuriser dans l’habitude ou la répétition, et de laisser son esprit ouvert, vous pouvez essayer de commencer par la droite !